"Saevann s'approcha de ce qui paraissait être la taverne de la ville.
Un amoncellement de bouts de ferraille et de planches, le tout lié par du ruban adhésif et des clous.
Cette bâtisse assez atypique ne pouvait paraître autrement qu'accueillante au survivant.
La porte grinça.
Ce bruit retentissait comme une douce mélopée aux oreilles de l'étranger.
Cela faisait des mois et des mois qu'il n'avait plus ouvert une porte, ni vu une encore intacte.
Bien que dans ce cas, la porte n'en avait que la fonction...
C'est à ce moment que tous les regards se tournèrent vers le vagabond.
"On va bien s'amuser je sens...",
murmura-t-il, en s'avançant vers le comptoir, duquel un personnage à la mine patibulaire essuyait un gobelet sale, avec un chiffon de la même propreté...
Lorsqu'il s'égosilla :
"Qu'esstu' veux ?
-Des renseignements...
Devant le ton lourd de mystères et de dangers, l'homme répondit :
-Quel genre ?"
Le voyageur sortit un vieux bout de paperasse, jaunit par le temps et la sueur de sa poche.
"Je recherche ce lieu.
-...Connais pas..."
L'étranger leva lentement la tête, dévoilant sa cicatrice et ses dents... un sourire carnassier arborait son visage.
Le tavernier aurait juré, qu'à ce moment-là, les yeux de son interlocuteur s'étaient illuminés... d'un éclair rougeâtre !
Ravalant sa salive, il bégaya :
"Que... Qu... Que voulez-vous ?"
À l'entente de la réplique apeurée du Gros Jaquy', les autres clients se levèrent, prêts à en découdre avec son interlocuteur.
Mais celui-ci rétorqua :
"Du calme mes frères ! L'heure est aux réjouissances ! Le Dieu Corbeau est parmi nous !"
Ses yeux avaient perdu leur lueur destructrice, son sourire rappelait une joie longtemps perdue.
Les agresseurs de fortune, confus, mais étrangement séduits, s'arrêtèrent et le laissèrent parler.
"Pour compléter ma croisade, j'ai..."
L'homme en loques tomba à terre.
De la bave, mêlée à du sang, se mit à ruisseler de sa bouche.
Le charme se brisa.
Les villageois s'approchèrent pour le jeter dehors.
Au moment, où tonton Alfred commençait à le soulever,
l'étranger le repoussa.
La mort se lisait sur son visage, tandis qu'il relevait les pans de sa cape,
révélant deux pistolets de l'avant-guerre...
Douze corps tombèrent à terre, y compris celui du Gros Jaquy'...
Mais, comme vous le savez... mes enfants... votre tonton et moi avions survécus.
C'est là qu'il nous prit tous deux à la gorge et nous dit froidement :
"Si seulement vous aviez été plus obéissants..."
Son regard s'assombrit aussi soudainement qu'il s'était pervertis.
Deux globes à la charmante couleur de noisette apparurent sur le champ de bataille, qu'était son visage...
Il nous lâcha violemment et se tourna pour ramasser un numéro de la gazette de ce jour, qui traînait sur la table près de nous.
Il lut le titre tout haut :
"Le Grand prêtre du Corbeau inaugure le nouveau temple d'Once-les-Pelles"
Il continua sa lecture sans se préoccuper nous, chevrotants et silencieux.
Puis quelques instants plus tard, en marchant avec dédain sur plusieurs cadavres encore chauds, il s'apprêta à sortir.
Mais je l'arrêtais :
"Quel est ton nom, étranger ?"
Je regrette encore ces mots.
Alors que le tueur me regarda, l'air calme.
Il inspira et répondit ensuite :
"Je ne suis qu'un simple survivant..."
Il sortit du bâtiment,
et termina sa phrase dans un murmure...
"...quand je ne suis pas... Saevann, le messager du Corbeau..."
Son sourire revint et il disparut dans l'horizon, alors que le soleil se couchait.
Ses derniers mots flottant au vent :
"Grand prêtre... hérétique... or... riche..."
Suivit d'un ricanement sourd...
Et voilà c'est tout pour ce soir, les enfants !!
-Mais Papa !! , s'écrièrent les deux charmants chérubins.
-Vous aurez la suite demain ! promis !"
Les enfants s'endormirent en rechignant.
Et le père ferma la porte derrière lui.
Sa femme vint le rejoindre sans faire de bruit...
"Tu leur a raconté ?
-Oui, mais ils croient que c'est juste une histoire pour dormir..."
L'épouse partit se coucher, laissant l'homme seul devant la porte de la chambre.
Contemplant le ciel par un trou béant du plafond de sa maison.
La douleur ravivée en son cœur...